La tête de Seung Jun n’avait de cesse de dodeliner de droite à gauche, attirant de temps en temps les regards agacés ou amusés de ses camarades. Il n’avait en effet pas l’air très intelligent, endormi, la nuque reposant fragilement sur le dossier de sa chaise. Le cours avait eu un effet tout bonnement soporifique sur lui lorsque le professeur avait commencé à parler de leurs devoirs précédemment rendus qui étaient soi-disant d’une qualité minable, et il n’avait pas tardé à aller tromper le prof avec Morphée. Morphée, un amant si doux qui pourtant, semblait l’avoir lâché depuis quelques jours. Maintenant, il réalisait qu’il aurait presque été préférable pour son frère et lui d’acheter deux lits plutôt que de dormir dans un seul l’un contre l’autre; depuis les évènements assez récents qui lui avaient laissé un arrière-goût aigre-doux, Seung Jun peinait à trouver le sommeil quand il était chez lui. Il osait à peine toucher son frère, ne serait-ce que pour lui faire la bise, alors comment pouvait-il supporter de dormir avec lui alors qu’à chaque instant il risquait de se réveiller serré dans ses bras ? Tout ça ne l’avait pas dégoûté. Certes, il n’aimait pas les hommes, mais Seung Joo, c’était différent… une petite entorse au règlement, dirons-nous, qui ne faisait néanmoins pas de lui un gay ou quoi que ce soit d’idiot de ce genre. Il aimait les femmes, et il était évident que si son frangin avait été sa frangine, les choses auraient probablement mieux passés pour lui. Le souvenir de ce matin des plus perturbants était tout aussi agréable qu’exécrable, au point qu’il avait parfois l’impression d’avoir encore l’odeur de son jumeau à raz de sa peau. Et tout ça commençait gentiment à le rendre dingue. Il ne pouvait ni ne devait déconner avec Seung Joo. Pire encore, il devait veiller sur lui comme il le faisait si bien à son égard au lieu de lui sauter dessus comme une bête en rut. Enfin. Ce n’était pas ça, pas du tout. Il y avait des sentiments cachés derrière ce geste fou, ce désir qui avait naquit dans sa poitrine, mais c’étaient là des sentiments qu’ils avaient, tout aussi bien l’un que l’autre, meilleur temps d’écarter de leur tête. Ils n’avaient pas le droit, quand bien même l’envie s’en faisait-elle ressentir, de faire ce genre de choses. Pour une fois que Seung Jun se montrait réaliste et surtout responsable, ce n’était pas à son bon plaisir, malheureusement, encore un détail agaçant qu’il ne supportait pas.

Bref, toujours est-il qu’il s’éveilla de son sommeil en entendant la cloche sonner, manquant presque de glisser de sa chaise en se redressant. Maintenant il avait mal à la nuque mais ce n’était pas pire que d’avoir à se balader tel un zombie dans les couloirs, Halloween était déjà passée. Avec une lenteur extrême - la lenteur de celui qui vient de sortir du lit, quoi… - il remballa soigneusement ses affaires, livres, stylos, calepins qu’il n’avait même pas utilisé durant la leçon et les fourra négligemment dans son sac avant de se lever un peu maladroit, les membres tout engourdis. Ignorant le professeur qui l’assassinait du regard - sérieusement, il se croyait menaçant avec ses petites lunettes rondes et ses kilos en trop qui le rendaient bouboule ? - comme s’il n’avait même pas existé. Pantouflard, le jeune homme se traîna jusqu’à son casier, y déposa la totalité de ses livres de cours, ne conservant que sa bien maigre salade qui allait lui servir de repas aujourd’hui. Les temps se faisaient durs à la maison financièrement, petit problème que son ventre ressentait régulièrement. Malgré son habituel appétit d’ogre, monsieur n’avait plus très faim en ce moment, ce qui tombait, avouons-le, assez bien dans le contexte. Ce n’est qu’en recevant un texto de son meilleur ami, Tae Jun, avec lequel il mangeait presque tous les jours, qu’il s’extirpa un tant soi peu de sa flemme et repris du poil de la bête. Voilà, avec son hyung dans les parages, il allait certainement aller bien mieux au plus vite. C’est sur cette bonne pensée qu’il remonta dans les étages du bâtiment dans lequel il se trouvait jusqu’à déboucher sur le toit, spacieux. Il entendit une sorte de cri qui contenait son prénom et en conclu rapidement que son ami devait déjà être présent. Mais en parcourant rapidement l‘endroit des yeux, il constata en premier lui son vide… non, pas vide, Tae Jun était déjà présent, confortablement installé vers le petit abri qu’ils utilisaient à chaque fois qu’ils se retrouvaient là.

« Mes fesses sont là » plaisanta-t-il en marchant jusqu’à lui, se laissant ensuite tomber à sa gauche « tu n’avais pas besoin de m’attendre, tu sais. Comme si je faisais attention à la politesse, n’est-ce pas ? »

Avec une infinie précaution, il brandit fièrement sa… salade iceberg et la posa sur ses genoux, la contemplant avec une sorte d’air abasourdi bien qu’il l’ait lui-même placée dans son sac le matin-même.